
Leur intention est claire : mettre
derrière les barreaux toutes les personnes qui, au sein du conseil
d’administration de Bankia, sont présumées coupables de la faillite de
la quatrième plus grande banque espagnole. Ils sont avocats, juristes ou
journalistes, et travaillent d’arrache-pied sur le dossier Bankia en
dehors de leurs heures de travail. En plus de l’information publique
disponible, ils épluchent des données confidentielles que leur
transmettent de l’intérieur des actionnaires et des employés de la
banque. Telle est la mission de salubrité publique que s’est fixée une
nouvelle plateforme citoyenne, liée au mouvement des Indignés,
« 15MpaRato », qui regroupe 120personnes.
Bankia, c’est ce conglomérat bancaire qui
vient d’être nationalisé, et dont la faillite menace le fragile
équilibre financier espagnol. Constituée en juin 2010 sous l’égide du
Parti populaire (la droite espagnole), Bankia est la fusion de plusieurs
banques en difficulté. Deux ans plus tard, tout bascule. En l’espace de
trois mois, Bankia, qui assurait avoir réalisé 309 millions d’euros de
bénéfices nets en 2011, se retrouve avec des pertes de 3,3 milliards
d’euros ! Un gouffre financier dissimulé lors de la présentation des
comptes à la Commission nationale du marché des valeurs (CNMV), sans le
rapport d’audit obligatoire…
Aide publique et parachute doré privé
Ce mensonge a ouvert la boîte de Pandore,
forçant son PDG, Rodrigo Rato, à démissionner le 7 mai dernier.
Précisons que Rodrigo Rato n’est autre que l’ancien directeur général du
FMI (de 2004 à 2007) et l’ancien ministre de l’Économie espagnol et
bras droit de José María Aznar pendant le précédent gouvernement de
droite (1996-2004). Il est depuis passé par les bureaux de la banque
Lazard et par ceux de la banque Santander, la plus puissante banque
espagnole (vous avez dit oligarchie ?).
« Nous voulons que Rodrigo Rato aille en prison et que ses biens soient saisis pour renflouer la dette de Bankia ! »,
assène l’une des membres de la plateforme 15MpaRato, qui tient à rester
anonyme. 23,5 milliards d’euros d’aide publique sont désormais
nécessaires pour renflouer Bankia. Ce qui n’empêche pas son ex-PDG
d’accepter un parachute doré de 1,2 million d’euros ! La décision
d’attribuer cette indemnisation est actuellement entre les mains de la
Commission des nominations et rétributions de la banque. L’Espagne n’en
est pourtant pas à son premier cas de faillite bancaire suivie d’un
sauvetage avec l’argent des contribuables. Mais, cette fois, « c’est un cas trop flagrant d’escroquerie », s’insurge un des membres de l’équipe juridique de la plateforme.
Pression réussie
Si les membres de 15MpaRato travaillent
de façon totalement bénévole, mus par leur « responsabilité civique »,
comme l’explique l’un des avocats volontaires, les démarches
administratives et judiciaires ont un coût… La plateforme l’a estimé à
près de 100 000 euros pour la première phase de leur action : déposer
une plainte auprès de l’Audiencia Nacional, la plus haute juridiction
espagnole, préparer et rédiger les actes d’accusation.
La plateforme a donc lancé une initiative
de « crowdfunding » ce 6 juin. Succès immédiat. En moins de 24 heures,
plus de 19 000 euros ont été collectés. Une cinquantaine d’actionnaires
de Bankia se disent prêts à témoigner et plus d’une dizaine de témoins
internes offrent spontanément leur aide aux enquêteurs anonymes.
11 000 citoyens déclarent se joindre à la plainte contre Bankia. Cette
réaction citoyenne crée des remous… Le parquet espagnol finit par
reconnaître les soupçons de délit et annonce l’ouverture d’une enquête
préliminaire sur Bankia. En cause : sa création et son entrée en Bourse
en juillet 2011.
Les politiques s’y mettent. La députée
Rosa Diez – Unión Progreso y Democracia (UPyD) — annonce que son parti
va également porter plainte contre Bankia. Depuis le 29 mai dernier,
l’UPyD et la Gauche unie (Izquierda Unida, qui rassemble la gauche
radicale) réclament une commission d’enquête parlementaire sur Bankia,
ce qu’ont refusé les deux principaux partis, le Parti populaire, au
pouvoir, comme le Parti socialiste espagnol (PSOE).
Tableau de chasse citoyen
Les deux partis qui ont alterné au pouvoir en Espagne craignent probablement un retour de bâton. « Nous n’allons pas nous arrêter au seul conseil d’administration de Bankia, avertit l’un des avocats. Nous allons aussi enquêter sur la responsabilité pénale de certains fonctionnaires de la Banque d’Espagne, de Deloitte [Le cabinet d’audit chargé des comptes de Bankia, ndlr], de la Commission nationale du marché des valeurs… C’est une procédure très longue qui va durer des années. »
La plateforme annonce ses objectifs comme
un tableau de chasse : Rodrigo Rato, Mariano Rajoy (actuel chef du
gouvernement espagnol), José Luis Zapatero et Carmen Chacón
(respectivement ancien Premier ministre et ministre du Logement en 2007,
tous deux du PSOE), José María Aznar (ancien chef du gouvernement du
Parti Populaire)… Pour, affiche-t-elle, « en finir avec l’impunité et les privilèges de ceux qui sont indécemment riches, des politiques et des banquiers ».
« Ce que nous voulons, c’est que
notre action, tout en préservant son anonymat, ait un effet “boule de
neige”, que la société civile collabore et nous aide. Et surtout,
qu’elle prenne conscience qu’avec la loi et la Constitution en main elle
a la force de lutter contre les abus de pouvoir », précise, moins démago, un avocat. Fin de partie pour l’oligarchie ?