mardi 4 octobre 2011

Téléchargements illégaux de films: «pirates» sous surveillance



La Cour fédérale a ordonné à Bell, à... (Photothèque Le Soleil)
La Cour fédérale a ordonné à Bell, à Videotron et à Cogeco de fournir les noms et adresses de leurs clients qui avaient téléchargé des films au moyen d'un réseau P2P (pour «pair à pair»). Les internautes se sont fait réclamer 1000 $ par fichiers.
Pierre Asselin
Le Soleil
(Québec) Télécharger des copies de films piratées n'était pas très dangereux au Canada, jusqu'ici, mais ce n'est plus le cas maintenant. Un juge a en effet autorisé, pour la première fois, un producteur de cinéma à obtenir l'identité de clients de Bell, de Vidéotron et de Cogeco qui ont téléchargé son filmDémineurs (The Hurt Locker).
Le 29 août dernier, le juge Michael J. Shore, de la Cour fédérale, a en effet ordonné aux trois compagnies de fournir les noms et adresses de leurs clients qui correspondent à une trentaine d'adresses IP identifiées par Voltage Pictures LLC. La compagnie a démontré en cour que les détenteurs de ces adresses avaient téléchargé ces copies au moyen d'un réseau P2P (pour «pair à pair»).
Si cette décision marque une première au Canada, ce n'est pas pour autant la première fois que Voltage et quelques autres maisons de production s'attaquent à l'échange de copies piratées. Au cours des deux dernières années, une douzaine de causes ont été portées devant les tribunaux américains, visant près de 140 000 individus à ce jour.
Leurs stratégies suivent un certain modèle. Une fois que les studios ont obtenu l'identité des internautes, ceux-ci reçoivent une lettre disant qu'on avait constaté qu'une ou des copies de films avaient été téléchargées illégalement. On leur réclame alors de payer entre 1000 $ et 1500 $ immédiatement, ou 2500 $ après une certaine échéance. Si l'affaire se rend jusque devant les tribunaux, menace-t-on, les sommes réclamées pourraient atteindre 30 000 $ par film, ou encore plus si on prouve que l'internaute a agi intentionnellement. Jusqu'ici, les tribunaux ne sont pas allés aussi loin, mais les pénalités peuvent quand même atteindre plus de 1000 $ par fichier.
On n'en est pas encore rendu à cette étape chez nous, puisque Voltage Pictures vient tout juste d'obtenir les identités qu'elle réclamait. On verra bientôt comment l'entreprise compte s'y prendre pour décourager les consommateurs d'avoir recours aux réseaux de partage pour s'échanger des copies illégalement.
Dans la décision rendue à Montréal, le juge Shore estime que «des défendeurs ne devraient pas avoir la possibilité de se cacher derrière l'anonymat de l'Internet et de continuer à violer les droits d'auteur de Voltage Pictures LLC».
Cette décision provoque de l'inquiétude chez certains observateurs, mais pas parce qu'ils ont quelque chose à se reprocher. Daniel Pascot, directeur du département des systèmes d'information organisationnels, à l'Université Laval, et président de l'association FACIL (Pour l'appropriation collective de l'informatique libre), y voit un danger pour l'accès à l'information.
Contrôle de l'information
«Ils donnent à des corporations des pouvoirs qui sont actuellement réservés à des juges et des policiers, et ce sont elles qui vont contrôler la circulation de l'information. C'est dangereux pour nos libertés.»
Tout ce qui brime la neutralité d'Internet et permet le contrôle de l'information par des compagnies est problématique, selon lui. «L'industrie veut créer toutes sortes de blocages et de verrous numériques qui risquent de nous rendre dépendants des logiciels propriétaires. On ne pourra plus choisir les logiciels qu'on veut pour accéder à des documents, et les logiciels qu'on nous impose font des choses qu'on ne veut pas.»
À ce sujet, il cite le cas d'Amazon. «Si je me sers de leurs outils pour lire un livre et que je souligne des passages, Amazon en est informé... Si j'envoie des courriels où je parle de certains produits, je vois étrangement apparaître, sur les pages que je visite, des publicités portant sur ces produits. On est espionnés en permanence.»
Le professeur examine d'ailleurs toutes ces questions liées à la propriété intellectuelle dans un cours, Logiciels libres et sociétés, qu'il offre depuis 2005 à tous sous une formule originale qui permet au public d'y assister librement. Le cours se donne tous les lundis à 18h30 (salle 2307, pavillon Palasis-Prince, ou bien en ligne). La prochaine séance porte justement sur la dimension juridique.
P2P, Bittorrent et quoi encore!
Pour comprendre la signification de l'acronyme P2P, il faut d'abord savoir que dans un réseau informatique «traditionnel» les informations recherchées (sites Web, réseaux sociaux, etc.) se trouvent concentrées dans des «serveurs», au centre d'une toile d'araignée qui les relie à nos ordinateurs personnels, qui sont des «clients».
L'acronyme P2P vient de l'expression anglaise peer to peer, qu'on traduit par «pair à pair». Il désigne un type de réseau différent où chaque ordinateur personnel est à la fois client et serveur. Lorsqu'on fait une recherche dans un réseau P2P, on fouille dans tous les ordinateurs qui en font partie, le vôtre, le nôtre et celui du beau-frère. Pas besoin de sortir de la maison pour emprunter un CD au voisin et le copier ensuite, il suffit de trouver le fichier convoité parmi les membres du réseau et de le télécharger.
Et c'est là que BitTorrent entre en scène. C'est ce qu'on appelle un «protocole», un ensemble de règles qui permettent de découper un fichier en petits paquets de bits, comme un casse-tête. Au lieu de télécharger tout le casse-tête d'une seule source, on prend un morceau ici, un autre là. Le volume est donc réparti à travers le réseau au lieu d'être concentré à un seul point. Il existe des dizaines de logiciels BitTorrent, et ils peuvent servir à des fins tout à fait légitimes, comme la distribution de logiciels libres ou de documents publics.